6 techniques pour savourer l’instant
Modifier une habitude, oublier sa montre, se créer un rituel… Expérimentez des procédés simples, applicables au quotidien, pour apprécier la valeur de chaque minute.
Erik Pigani
Ici et maintenant, « vivre le moment présent »… Ces notions fondamentales de la philosophie zen sont aujourd’hui récupérées et considérées comme des remèdes antistress dans une époque survoltée. Or il existe bel et bien une approche zen du temps, plus subtile et raffinée que ces incantations contemporaines. Elle nous enseigne la façon de contrôler le flux du temps qui passe sans se laisser contrôler par lui. Elle nous apprend aussi que le temps est une illusion, un principe très relatif. Il existe en nous des espaces intérieurs où les secondes ne s’écoulent plus, des espaces illimités où les distances ne comptent plus, nous disent les maîtres zen.
Les années 1980 prônaient une gestion du temps tous azimuts, agenda et montre en main, dans une logique de performance et de réussite professionnelle. Il est temps de l’appréhender autrement, à des fins de bien-être individuel. Pour être capable d’appliquer au quotidien le fameux « ici et maintenant » et accéder à une nouvelle « maîtrise », c’est d’abord notre attitude intérieure qu’il s’agit de changer.
Faire de son temps une œuvre d’art
Maîtriser, mais au sens artistique du terme cette fois, c’est-à-dire être en pleine possession d’une technique, savoir l’oublier pour se laisser aller à l’inspiration du moment, reconnaître que l’on ne peut pas tout contrôler, se rendre disponible à soi-même et aux autres. Apprendre cet art du temps ne se fait pas avec un chronomètre. Les artistes le savent : ils vivent « hors du temps » et organisent leurs journées en fonction de leurs élans créatifs. Leur véritable travail, c’est d’affiner leur technique, d’être à l’écoute du monde. En se laissant guider par leur rythme intérieur, ils n’ont généralement pas besoin de loisirs pour se détendre. Pour eux, vivre le temps, c’est vivre la liberté. Et l’exprimer.
Dans ce nouvel espace-temps, il est vain de lutter. Regardez les maîtres en arts martiaux : ils ne luttent pas contre leurs adversaires, mais absorbent leurs mouvements pour mettre en œuvre leur force intérieure. Si, au lieu de combattre le temps pour le « tuer », on l’absorbe, si on le considère non comme un adversaire mais comme un allié, il devient alors un espace créatif, un temps en soi, ouvert à tous les contenus, où toutes les activités peuvent coexister.
Voici six techniques pour reprendre conscience de la nature du temps et cultiver celui-ci comme un art de vivre.
1. Définissez vos priorités
« Qu’est-ce qui compte le plus pour moi dans la vie ? » Voilà la première question à vous poser. Pour y répondre, prenez une feuille de papier et faites la liste de toutes les activités que vous pratiquez en dehors de votre travail et des bases de la vie familiale : sports, bricolage, promenades, télévision, shopping, soirées, lecture, cinéma, jardinage, vie associative, bénévolat… Classez ensuite ces activités en quatre catégories :
A Cette activité est-elle vitale pour moi ?
B Est-elle importante, mais pas essentielle ?
C Est-elle peu importante ?
D Est-ce une perte de temps ?
Vous découvrirez probablement que vous passez beaucoup de temps à faire des choses inutiles, qui vous pèsent, dans lesquelles vous ne vous reconnaissez pas ou plus. Aussi, éliminez systématiquement de votre agenda les activités placées dans les catégories C et D. Ensuite, réorganisez votre emploi du temps autour des activités des catégories A et B, en respectant ces deux règles élémentaires : vos priorités doivent être concrètes et précises pour pouvoir en apprécier immédiatement les résultats positifs ; elles doivent donc être réalisables facilement, et concourir à votre plaisir.
Bénéfice : cet exercice de base vous aidera à clarifier votre esprit, et vous incitera à vous réapproprier votre vie et votre emploi du temps.
2. Oubliez votre montre
Il est possible de vivre sans montre, par exemple en consultant parfois son téléphone portable. L’absence d’aiguilles a même un avantage : elle oblige à prendre conscience de l’instant, et non à calculer le temps qu’il reste. Un matin, oubliez délibérément votre montre. Vous allez ressentir un moment de panique, comme si vous vous lanciez dans la jungle sans matériel de survie. En cas de besoin, demandez l’heure dans la rue, regardez votre écran d’ordinateur au bureau, jetez un œil sur la pendule de la cuisine à la maison.
Bénéfice : cet exercice vous permettra de vous détacher de la perception extérieure, physique, du temps qui passe. Il conduira à privilégier vos sensations intérieures et à mieux prendre conscience du moment présent.
3. Inventez un rituel
Voilà un petit arrêt dans le temps que vous pourrez facilement aménager. Les rituels existent depuis toujours et, qu’ils soient païens ou religieux, collectifs ou personnels, ils ont été pratiqués pour que nous puissions nous relier à nous-même, à notre force intérieure. C’est pourquoi ils jouent un rôle important dans notre équilibre psychique. S’asseoir pour méditer dix minutes tous les matins, s’arrêter pour faire une pause thé à 16 heures tous les jours, allumer une bougie et faire une minute de silence pour la santé de nos proches, lire une histoire en famille, sortir faire une marche…
Peu importe la nature du rituel que vous choisirez, à condition qu’il ne soit pas fait à la va-vite, comme on prend de justesse un médicament que l’on a failli oublier : il doit être fait en pleine conscience de l’« ici et maintenant ».
Bénéfice : en vous obligeant à vous concentrer, à focaliser votre pensée et votre attention, votre rituel vous aidera à faire le vide pendant quelques instants, à libérer vos tensions intérieures et à retrouver une certaine assurance pour la suite. Le rituel marque toujours un avant et un après, et permet de passer d’une activité à l’autre dans de meilleures dispositions.
4. Ralentissez vos gestes
Choisissez une activité quotidienne que vous faites mécaniquement (prendre une douche, ranger vos vêtements, faire du jardinage, etc.). Lorsque vous avez fait votre choix, avant de la commencer, prenez une lente et profonde inspiration et ralentissez à l’extrême tous vos mouvements, comme si vous étiez en apesanteur. Concentrez-vous sur votre posture, sur chacun de vos gestes, sur l’objet que vous tenez, sur le contact physique avec l’objet. Focalisez ensuite votre attention sur vos muscles et sur la façon dont vous respirez. Vous allez prendre conscience d’une quantité de détails qui vous échappent habituellement, comme la sensation de l’eau sur vos épaules, l’odeur du linge dans l’armoire, la caresse de l’herbe sur laquelle vous marchez…
Bénéfice : ralentir ainsi vos mouvements vous permettra non seulement d’instaurer le calme intérieur en quelques minutes, mais aussi de renouer le contact avec vos sens, de redécouvrir physiquement votre environnement.
5. Cassez une routine
La routine fait disparaître la conscience du présent. Certaines habitudes nous font certes gagner du temps, mais elles endorment également la vigilance, la présence à soi-même. Pour remettre l’esprit en éveil, relevez, dans votre vie quotidienne, une activité que vous pouvez considérer comme une routine, puis changez un paramètre. Vous allez faire vos courses tous les samedis à 17 heures ? Pour une fois, décidez de les faire à 13 heures. C’est vous qui préparez le repas le dimanche midi ? Passez commande chez un traiteur, demandez à vos enfants de s’en occuper, allez au restaurant… Changez d’itinéraire pour vous rendre au bureau, essayez une nouvelle boulangerie, restez chez vous pour lire un livre plutôt que d’aller au cinéma…
Bénéfice : cette attitude vous permettra de comprendre que vous vivez mieux et plus intensément en étant conscient de vos choix. Vous aurez ensuite de plus en plus envie de vous faire régulièrement ce genre de surprises… et d’en faire aux autres.
6. Ne faites rien
Si vous appelez un temps libre un temps mort, c’est que vous avez probablement l’impression de perdre un peu de votre vie. « Ne rien faire », en effet, peut être très angoissant. Ce n’est pas « prendre du temps pour soi », c’est tout simplement… ne rien faire. Tout au plus s’asseoir à la terrasse d’un café, un thé à la main, et attendre. Quoi ? Rien… Cette pause dans le temps, les artistes la connaissent bien. Pour eux, c’est une « mise en disponibilité » pendant laquelle l’inspiration peut survenir. Au cours de votre journée, arrêtez-vous de temps en temps. Asseyez-vous dans un coin de la cuisine, sur un banc du jardin, allongez-vous sur votre lit en regardant le plafond. Expérimentez le moment présent en vous disant : « Je ne fais rien. »
Bénéfice : ces moments de « jachère psychique » permettent de rompre avec le rythme quotidien et de laisser l’esprit vagabonder. Ne rien faire est une façon de renouer avec votre vie intérieure, de vous ouvrir à de nouvelles idées, d’écouter vos intuitions.
Témoignages
La dernière fois que vous avez vraiment pris votre temps ?
Hélène Darroze, chef cuisinier et propriétaire du restaurant Hélène Darroze, à Paris (1), 36 ans.
Quinze minutes avant que le service du soir ne commence, elle reçoit dans son minuscule bureau aménagé au milieu des cuisines.
« En janvier dernier, je suis partie une semaine chez des amis dans le Périgord, au calme. Mais est-ce que l’on peut considérer cela comme du temps pour soi, sachant que j’y suis allée pour travailler sur mon prochain livre ? Je ne suis pas douée pour prendre mon temps. Et puis je suis très sociable par nature. Pendant mes congés, il y a toujours plein de copains qui viennent manger chez moi. Mais je connais aussi le goût et l’importance du face-à-face avec soi-même : l’un de mes plus beaux souvenirs de vacances est un voyage de un mois en Asie, sac au dos… seule. »
Patrick Pelloux, urgentiste, président de l’AMUHF (Association des médecins urgentistes hospitaliers de France), auteur d’"Urgentiste" (Fayard, 2004), 40 ans.
Deux semaines après lui avoir laissé un message, il appelle : « Ce n’est pas trop tard ? » Et témoigne, à toute vitesse.
« Il faut venir chez moi pour comprendre le massacre ! Je fais partie de ces gens qui regrettent qu’une journée ne fasse pas quarante-cinq heures et dont les seuls temps libres sont consacrés à la famille. Parfois, j’en viens à me dire que je passe à côté de ma propre vie. Mais comment faire autrement ? Jamais on n’a eu autant de technologie pour gagner du temps et jamais on n’en a été aussi incapables ! Aujourd’hui, tout engagement pour une cause est un sacrifice sur son temps à soi. »
Psychanalyse : la nécessaire patience
S’il est un espace où le temps continue de régner en maître absolu, c’est celui de la psychanalyse. En premier lieu, cette technique thérapeutique suppose que nous nous y prêtions pendant des années. Elle ne saurait donc être conseillée aux impatients et aux ennemis de la lenteur. Ensuite, nous venons en analyse car, dans notre inconscient, le temps s’obstine à ne pas passer. Presque toujours, les souffrances, les angoisses, les problèmes avec l’amour ou l’autre sexe datent de la petite enfance. Ils remontent parfois à un passé plus ancien, à la génération d’avant. La psychanalyse est un travail de mémoire, de reconstruction du souvenir.
Le temps pour comprendre la cause de nos conflits intérieurs ne peut être déterminé à l’avance. Tout dépend de l’intensité de nos propres résistances à assumer des vérités qui ne seront pas forcément plaisantes pour notre ego. Le travail stagne pendant des mois au point que nous avons envie de laisser tomber, de changer de thérapeute. Soudain, un rêve, une image fugace ou un petit mot de l’analyste, et la machine repart.
Si la psychanalyse travaille avec et sur le temps, elle est aussi un temps hors temps, où nous ne nous consacrons qu’à nous-mêmes. C’est un temps d’arrêt pour penser à soi et essayer de construire ce que nous pouvons devenir.