Notre besoin d’hiberner
Difficultés à se lever le matin, envie de somnoler et de paresser en journée… Qui n’a jamais connu au cœur de l’hiver, le besoin irrésistible de rester plus longtemps sous la couette ? Comment expliquer cet état ? Et le vivre du mieux possible ? Claude Gronfier, chronobiologiste, revient sur ce drôle de besoin d’hiberner.
Ours ou marmotte ?
« J’ai dormi tout le week-end et pourtant, je suis encore à plat », « Impossible de sortir de la couette ce matin »… Dès l’automne, nous sommes nombreux à nous plaindre de fonctionner « au ralenti ». De dormir plus, mais jamais suffisamment. Et de ne rêver que d’une chose : rester chez nous, au chaud, pour nous reposer et paresser. Ne serait-ce pas là le signe que nous avons besoin d’hiberner, comme tant d’autres animaux ? « On a longtemps pensé que l’homme était vraiment différent des autres mammifères, qu’il n’avait pas de comportements saisonniers, explique Claude Gronfier, chercheur à l’INSERM au département chronobiologie, unité 846. Mais on sait aujourd’hui que c’est faux. Cela dit sur ce point, nous sommes parmi les mammifères, plus proches de l’ours que de la marmotte. Celui-ci n’hiberne pas, il hiverne. La nuance est fine : l’ours ralentit son fonctionnement, en hiver, mais ne plonge pas totalement dans la léthargie. Il conserve toujours une petite activité. »
Besoin physiologique ou d’origine psychologique ?
Aurions-nous donc physiologiquement besoin de ralentir et de dormir davantage pendant les mois d’hiver, à l’instar des plantigrades ? « C’est plus compliqué que cela, nuance le chronobiologiste. Chez certains individus, le besoin de sommeil peut revêtir un aspect psychologique. Pourquoi ? Parce que nous avons effectivement tendance à être moins gais en hiver et que pour beaucoup, dormir reste un refuge. D’ailleurs, on ne va pas toujours avoir envie de dormir davantage mais simplement de rester au lit plus longtemps. En revanche, certaines personnes vont effectivement avoir besoin de dormir plus. Parmi elles, on trouve notamment tous ceux qui sont sujets à la dépression hivernale. »
Dans ce cas, il n’est plus question de simple fatigue ou de manque de sommeil, mais bel et bien d’une véritable maladie qui appelle un traitement adapté. « Si l’on pense être atteint de ce trouble, il faut impérativement aller consulter un médecin, recommande Claude Gronfier. Sans se dire « je n’ai qu’à patienter jusqu’au retour des beaux jours », car la dépression hivernale peut poser de graves problèmes dans la vie quotidienne, autant d’un point de vue professionnel que familial. »
L’accusé : le manque de lumière
Comment expliquer que l’hiver bouleverse autant certains d’entre nous ? Qu’il perturbe à ce point notre rythme, notre forme et parfois même nos envies ? Pour le spécialiste, aujourd’hui, plus de doute : c’est la lumière – ou plutôt le manque de lumière – qui est le dénominateur commun de tous ces changements. « La luminosité joue énormément sur notre organisme et notre forme, rappelle le spécialiste. Or en hiver, la photopériode, c’est-à-dire le temps de luminosité, est beaucoup plus court qu’en été. Le seul fait que le soleil se lève plus tard, notamment, affecte considérablement nos rythmes biologiques internes, provoquant des troubles dépressifs plus ou moins forts. »
Simple ralentissement pour les uns, véritable besoin physiologique de sommeil pour les autres… Nous ne sommes effectivement pas tous égaux face à ce manque de lumière. La raison : des prédispositions qui favoriseraient notre réceptivité aux variations saisonnières. « Il y a des causes de type génétique. Par exemple, chez certains individus souffrant d’un polymorphisme au niveau de la rétine, on a découvert que la lumière était moins bien transmise au cerveau, au centre qui régule les rythmes biologiques. Résultat : ils développent plus régulièrement des troubles affectifs pendant l’hiver. D’autres études pointent aussi le rôle de la production de la sérotonine. Ceux qui présentent déjà des taux un peu faibles en temps normal vont souvent ressentir un plus grand besoin de sommeil. »
Dormir plus ou dormir mieux ?
Heureusement, le manque de lumière se contente souvent de nous mettre un peu plus « à plat ». Mais que faire alors ? Devons-nous changer notre rythme pour s’adapter à celui de la saison ; ou au contraire lutter pour rester actif et en forme ? Bonne nouvelle, pour le chronobiologiste, céder à « l’appel de la couette » aurait du bon. « Mon conseil, avant tout, c’est de ne pas lutter contre le sommeil le soir, explique-t-il. En règle générale, nous avons tous une dette de sommeil et cela nous ferait sans doute beaucoup de bien de dormir une heure ou deux heures de plus chaque nuit. »
Pas de quoi pour autant nous transformer en marmotte jusqu’à l’été ! Car passées nos premières longues nuits, on risque très vite de se rendre compte que notre sommeil devient moins dense, plus perturbé. Et les études le prouvent : à partir d’un certain point, en dormant plus, on finit par dormir moins bien. « Quand l’on sent que notre sommeil se fait plus hâché, de moins bonne qualité, mieux vaut reprendre un rythme et une hygiène de sommeil proche de ceux que l’on a en été. Et si vous êtes réveillé le matin, levez-vous plutôt que de ‘traîner au lit’ ! » Un conseil vitalité qui implique bien évidémment de faire une croix sur nos grasses matinées. Trop dur ?
Recaler notre horloge biologique
Pour Claude Gronfier, plus que notre quantité de sommeil, c’est surtout la lumière, une fois encore, qui peut nous aider à bien passer l’hiver. « On le sait aujourd’hui, la luminosité active également des cellules qui sont impliquées dans la veille, la cognition, la consolidation des connaissances et aussi l’humeur. Tout cela à travers de mécanismes physiologiques qui dépendent de notre horloge biologique interne. » Voilà pourquoi quand celle-ci est perturbée l’hiver, ce n’est pas seulement notre sommeil qui en pâtit mais aussi nos journées, nos états d’âme et notre concentration notamment.
Pour le chronobiologiste, inutile donc de recourir à un traitement médicamenteux, avec d’un côté des pilules pour mieux dormir la nuit et, de l’autre, des substances pour se tenir éveillé en journée. La solution qu’il préconise : la luminothérapie, également appelée photothérapie. Une approche qui va mettre à profit les effets de la lumière sur notre organisme « pour « recaler » notre horloge biologique interne. Résultat : on bénéficiera d’un meilleur état de veille pendant la journée, et d’un meilleur sommeil la nuit. »
En cas de troubles légers, augmenter l’intensité lumineuse dans les pièces où l’on se trouve et utiliser de temps à autre une lampe de luminothérapie chez soi peut suffire. Mais attention, en cas de dépression saisonnière ou de troubles affectifs plus graves, mieux vaut consulter un généraliste. Car pour être efficace, le traitement doit être impérativement suivi à la lettre, tous les jours.