Les leçons de vie du tao
Le tao. Un petit mot mystérieux en forme de sésame pour une vie plus équilibrée, nous assurent ses adeptes. Née en Chine, cette voie spirituelle séduit de plus en plus en Occident, sans doute parce qu’elle répond avec simplicité et modernité à nos aspirations existentielles.
Un tirage de Yi-king, une référence au yin et au yang, des mouvements de tai-chi-chuan ou de qi gong, une séance d’acupuncture, une maxime du Tao-tö-king (de Lao-tseu (Gallimard, “Folio”, 2002)). Le fil rouge qui relie ces éléments disparates ? La Chine, évidemment, et le tao plus précisément. Une voie spirituelle remontant au Ve siècle avant notre ère et qui, depuis plusieurs mois, connaît un regain d’intérêt fasciné. Témoin, le succès populaire de la superbe exposition « La voie du tao, un autre chemin de l’être », qui s’est tenue cette année de mars à juillet au Grand Palais, à Paris, ainsi que le nombre croissant de publications consacrées au taoïsme. Si ce courant spirituel, à la fois philosophie et art de vivre, séduit tant les Occidentaux, c’est qu’il entre en résonance avec nos aspirations existentielles, même si nous n’en avons pas toujours conscience. Vivre plus en phase avec sa nature profonde et la nature elle-même, savoir équilibrer ses désirs et ses besoins, faire la paix en soi et autour de soi… Tel est le but du tao, basé sur la recherche de l’équilibre et de l’action juste. Dans le Taotö-king, pièce maîtresse de la philosophie taoïste, on trouve quatre-vingt-un préceptes enseignant autant l’art de gouverner que celui de se nourrir ou de gagner en sagesse. Tous sont traversés par une affirmation forte et paradoxale : il faut s’installer dans le non-agir pour vivre pleinement sa vie.
Mais gare aux interprétations erronées. « On prend trop souvent l’expression taoïste “agir par le non-agir” pour une incitation au laxisme, prévient Cyrille J.-D. Javary, auteur des Trois Sagesses chinoises, taoïsme, confucianisme, bouddhisme (Albin Michel, 2010). Il s’agit en vérité d’être dans l’action juste, celle qui se fait sans forcer, mais non sans effort. » Comme en témoignent les lents mouvements du tai-chi-chuan ou du qi gong, basés sur une gestion centrée de l’énergie vitale.
Une conscience des rythmes du vivant
Patrice Levallois, l’un des créateurs du Jeu du tao de la santé et du mieux-être avec Patrice Van Eersel, Sylvain Michelet et Daniel Boublil (Albin Michel- Taovillage, 2009). (Voir aussi le site taovillage.com), trouve dans l’esprit de ce courant deux principes qui l’accompagnent et éclairent sa route depuis des années : « Le premier est qu’en vivant simplement ici et maintenant, comme nous y invite la voie du tao, je prends conscience que la joie et l’amour sont à l’intérieur de moi et que je n’ai pas d’effort à faire pour accéder à eux. Second enseignement : la vie, comme notre nature, est foncièrement duelle, elle est faite de yin comme de yang. À nous de ne pas transformer l’opposition qui enrichit en affrontement qui détruit. »
Même interprétation chez Diane Dreher, chercheuse au Spirituality and Health Institute de Californie, aux États-Unis : « Il nous ramène en douceur à la sagesse de la nature et de ses rythmes, et nous aide à découvrir la richesse de notre propre nature, l’alternance des marées, les phases de la lune, la succession des saisons de notre vie », écrit-elle dans Dix Leçons pour être forte et sereine, le tao de la femme de Diane Dreher (Payot, 2010). Se laisser porter par le courant de la vie, s’ouvrir et sourire à sa beauté… Ce n’est pas un hasard si les adeptes du tao résument souvent son enseignement en deux mots : sérénité et simplicité.
Dompter ses dragons intérieurs
Pour trouver la paix et l’harmonie en soi et autour de soi, mieux vaut, selon le tao, être à la fois souple, mesuré et déterminé. Didier Gonin, auteur de Réussir sa vie avec le tao (Albin Michel, 2007), nous propose quatre expériences à tenter pour un quotidien plus serein.
Agir dans l'eau
« L’homme du bien suprême est comme l’eau » Tao-tö-king, chapitre 8.
L’eau est, dans le tao, le symbole de la « bonté agissante », la parfaite illustration de la passivité active.
Symbolisée par le yin, elle nous enseigne que, dans les situations de conflit ou d’impasse, les passages en force, les affrontements brutaux sont souvent aussi vains que grands consommateurs
d’énergie vitale. Ils affaiblissent l’être tout en lui donnant l’illusion du contrôle et de la puissance. Agir comme l’eau signifie faire le calme en soi et analyser le problème sous toutes ses
facettes de manière à contourner l’obstacle. Cela peut être suspendre momentanément l’action, avoir recours à des outils et à des cheminements inhabituels, ou encore faire marche arrière et
s’interroger sur le bien-fondé de son objectif ou de sa stratégie. C’est ainsi que l’eau, calme et entêtée, se fraye son chemin et atteint son but sans efforts superflus.
Etre un exemple
« Le sage embrasse l’Un, devenant un modèle, il ne s’exhibe point et du coup resplendit » Tao-tö-king, chapitre
22.
« Embrasser l’Un » veut dire cesser de vivre dans la division et réunir, en soi et en conscience, les oppositions
naturelles : yin et yang, agir et non-agir, ombre et lumière… Une fois unifié, dans l’acceptation mais non dans la complaisance de sa dualité, il ne s’égare plus et ne juge plus. Ainsi, les
autres, apaisés par sa paix, confiants dans ses paroles (il fait ce qu’il dit) et réconfortés par sa bienveillance (il n’accuse pas les autres des faiblesses qu’il sait être aussi les siennes),
non seulement ne l’agressent pas, mais recherchent sa compagnie et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Pour le tao, le sage n’est pas le surhumain, mais l’humain pleinement conscient de sa nature,
de ses forces et de ses faiblesses, et qui essaie de faire cohabiter en équilibre ses deux polarités.
Entretenir le feu sacré
« Réduire son moi et brider ses désirs » Tao-tö-king, chapitre 9
Le feu sacré est une métaphore du vivant, du qi, c’est-à-dire de l’énergie vitale. Toute la pratique taoïste –
méditation, respiration, nutrition… – considère que l’équilibre est à la fois la fin et les moyens pour vivre une vie juste et noble. L’homme se perd dans les excès, il se consume et éteint ainsi
le feu sacré dont il est le dépositaire. Repérer ses excès, matériels, relationnels et émotionnels, puis les ramener à un niveau qui ne consomme pas plus d’énergie que nécessaire est le préalable
indispensable pour tous ceux qui désirent vivre longtemps et sereinement. Réduire le moi, c’est le ramener à sa juste proportion dans la chaîne du vivant, ne pas faire passer son ego devant tout
et tous, et prendre en considération le moi d’autrui comme on prend soin du sien, avec mesure, respect et bienveillance.
Désapprendre
« Suivre la voie, c’est de jour en jour décroître » Tao-tö-king, chapitre 48.
Nettoyer son esprit, c’est le débarrasser des idées reçues, des certitudes, en les passant régulièrement au tamis du
questionnement sans complaisance. L’encombrement de l’esprit est semblable à l’encombrement des maisons : quelles croyances nous sont vraiment utiles, lesquelles pourrions-nous jeter ? Quelles
vérités imposons-nous aux autres ? Quels changements refusons-nous ? Ne pas rester figé, s’exposer au changement, s’inscrire dans la dynamique cyclique de la nature nous permet de nous
débarrasser de nos peurs et d’expérimenter notre potentiel de vie sans restriction ni discrimination. Désapprendre l’ancien pour s’ouvrir au nouveau, tel est le sens de cette invitation
paradoxale.
« La voie du tao a rendu mon coeur plus accueillant »
Questions à Gérard Guasch, médecin psychosomaticien et analyste reichien
Passionné par les thérapies énergétiques, Gérard Guasch s’est initié très jeune à la médecine chinoise (acupuncture) et au taoïsme. Disciple de maître Tian Chen Yang, il appartient à la vingt-cinquième génération du courant taoïste « La porte du dragon » (Long Men). Il est engagé depuis plus de trente ans dans cette voie, qu’il enseigne dans le cadre de cercles taoïstes baptisés « Le tao du coeur ». Et l'auteur de Vivre l’énergie du tao, traditions et pratiques (Presses du Châtelet, 2010) et, avec Anne-Marie Filliozat, d’Aide-toi, ton corps t’aidera (Albin Michel, 2006).
Qu’est-ce que le tao a changé dans votre vie ?
G.G. : Sans doute moins de jugements, sur moi et sur les autres, et plus de bienveillance et de
simplicité. Le tao m’a aussi incité à prendre davantage soin de mon équilibre et de mon harmonie intérieurs, à jouir pleinement de ce qui « est » au lieu d’en vouloir toujours plus, à ralentir au
lieu de courir. S’abandonner au tao, c’est pour moi apprendre à faire le vide dans son coeur pour qu’il soit toujours accueillant. J’ai le sentiment d’avoir retrouvé, au fil du temps, mon regard
d’enfant, confiant et émerveillé.
Comment intégrez-vous le tao à votre pratique ?
G.G. : Essentiellement dans ma façon d’être, par la présence et l’écoute, par l’intérêt constant
que je porte aux manifestations énergétiques chez l’autre, mais également par l’usage de pratiques que je transmets à mes patients pour qu’ils deviennent acteurs de leur bien-être, des méthodes
de respiration ou des techniques de contrôle de l’éjaculation, par exemple. J’utilise aussi l’acupuncture et d’autres approches traditionnelles pour équilibrer les énergies qui alimentent le
corps et l’esprit. Car, dans le tao, une bonne santé, c’est une circulation harmonieuse du qi, l’énergie vitale.
Le taoïsme est aussi une spiritualité, comment la vivez-vous ?
G.G. : Pour le tao, nous sommes les filles et fils de la terre et du ciel, et nous devons maintenir
en nous l’équilibre énergétique de ces deux pôles, le yin (non-agir) et le yang (agir). Pour cela, je médite deux fois par jour, je pratique le qi gong et, dans la journée, je me mets autant que
possible en « attitude méditative ». Chaque mois, nous méditons entre amis, les séminaires que j’anime sont une occasion de méditer en groupe. Je célèbre aussi des rituels d’offrande à l’occasion
d’un changement de saison, d’une naissance ou d’un événement spécial, ce sont des moments propices pour honorer la vie et la source de vie qu’est le tao. Enfin, je lis et relis les textes
classiques qui m’aident à ne pas perdre de vue mon objectif : cultiver le tao, c’est-à-dire l’amour de la vie, et le manifester dans mon quotidien.
Article par Flavia Mazelin-Salvi.