Comment se protéger du stress ambiant ?
Une famille recomposée, un travail prenant, des temps de transport interminables… Autant d’occasions d’être atteint par les tensions des autres. Notre journaliste a testé plusieurs exercices pour rester calme.
Christilla Pellé Douel
J’ai le « profil idéal », comme disent les chasseurs de têtes… Personne n’en doutait au cours de cette réunion de rédaction : s’il fallait un cobaye pour essayer les trucs antistress, c’était vraiment moi, avec ma grande famille recomposée (cinq enfants), dispersée entre banlieue parisienne et campagne, des adolescents en pleine rentrée (seconde, terminale, départ à l’étranger, premier job…) et en pleine crise. Il me faut calmer l’angoisse des uns, soutenir et inciter à l’effort les autres, rassurer et garder l’oeil, tout en demeurant calme, souriante et détendue.
Même chanson au journal : résister à la pression qui monte au même rythme que le retard des articles, organiser le travail, écouter, rassurer… Tout cela ne va pas de soi, surtout lorsque les tensions s’accumulent et que la récupération devient difficile : je n’arrive plus à débrancher le soir. « Tu choisis quelques méthodes et tu testes les exercices très simples que te donneront les spécialistes », m’indique ma rédactrice en chef. Bonne idée ! Il ne me reste plus qu’à trouver le temps de les caser… ce qui me stresse un peu.
La sensorialité
Je prends rendez-vous avec une spécialiste de la sensorialité. Régine Zekri- Hurstel, neurologue, n’est pas surprise lorsque je lui explique mon cas. « Le stress de “l’autre” est contagieux, parce que la personne que l’on connaît fonctionne alors différemment, analyse-t-elle. Son stress entraîne un changement de rythme qui ne correspond plus au nôtre : accélération des mouvements, changement de tonalité de la voix… En retour, nous réagissons à ces stimuli par une augmentation de notre propre stress, réalimentant le problème, etc. »
La meilleure voie pour réduire le sien consiste donc à faire baisser celui de l’autre. Comment ? « D’abord en modifiant son apparence », me conseille la neurologue. Surprenant ! J’apprends ainsi que le bleu apaise, le rouge dévie l’agressivité, le vert suscite l’envie de changer… « Il ne s’agit pas de conduite magique, explique-t-elle, mais de réponses neurologiques et sensorielles à un stimulus particulier. »
Deuxième point : récupérer son rythme personnel, soit en l’augmentant (par une musique dynamique, une marche rapide…) si l’autre est apathique, soit en l’apaisant (par des respirations profondes, une musique douce) s’il est énervé. « Chacun possède un rythme qui lui est propre. C’est celui- là qu’il faut retrouver », poursuit Régine Zekri-Hurstel.
Troisième moyen : passer par le goût et les sensations de chaud et froid. Si l’on aime le glacé et les saveurs acidulées, boire un grand verre de citronnade lors d’une situation stressante permet de retrouver sa sérénité. Un café chaud réconforte et aide à stabiliser l’émotion. Cette technique est bien connue des sauveteurs, dont l’un des premiers gestes consiste à donner à boire à la victime d’un accident ou d’un choc.
Enfin, la spécialiste recommande de « se masser les extrémités, mains, pieds, de se brosser les cheveux ou simplement de changer de chaussures! Ces simples actions permettent de faire baisser la pression, de se sentir mieux dans son corps, de reprendre contact avec la sérénité ». J’adore ces conseils, si faciles à mettre en pratique : je m’aperçois ainsi que mon premier réflexe, en rentrant, consiste à marcher pieds nus. Instinctivement, nous pouvons retrouver les actions et les situations qui nous calment, nous font du bien. « Nous possédons tous cette capacité, note Régine Zekri-Hurstel. Le plus difficile est de nous autoriser à y avoir recours. »
Le lendemain, la tension est montée d’un cran pour un problème au travail… Tension qui retombe sur l’entourage. Une dispute éclate au téléphone. Je raccroche, tendue et désireuse d’en découdre avec le monde entier. Bonne occasion de renouer avec ma sensorialité : je me fais une tasse de thé que je bois en marchant dans le jardin, en soulevant les genoux à chaque pas. Cela ne fait pas une démarche sublime, mais ça fonctionne ! L’énervement retombe, ma respiration s’apaise. Du coup, ma conversation m’apparaît sous un autre angle. Mon fils m’observe d’un regard interrogateur, légèrement narquois. Je ne dis rien. La prochaine fois, j’essaierai la couleur des vêtements. Surtout, je retiens la réflexion de Régine Zekri-Hurstel : « On ne se donne pas le droit de reconnaître son état de stress, pourtant, le faire permet d’en éviter l’aggravation. De même qu’une activité physique, l’effort offre une récompense endorphinique, donc un mieux-être. »
La neurologue m’apprend au passage que, dans le cas du stress spécifique des jeunes lors des contrôles et des examens, c’est d’abord leur rythme qu’il faut les aider à retrouver. Une astuce simple consiste, par exemple, à mâcher quelque chose : un bâton de réglisse, sur lequel on peut exercer toute la pression de la mâchoire, permet à la fois de changer la périodicité de la respiration (impossible de mâcher et de respirer de manière saccadée en même temps), donc de se calmer, et d’apaiser les tensions du cou et du visage. « Pensez-y, me suggère-t-elle, c’est sans danger et c’est un bon petit truc de secours. » Je m’en souviendrai : rien de plus stressant que de tenter de paraître calme pour venir en aide à un ado angoissé par une interrogation orale.
Le stress en famille
Aider les jeunes à lutter contre leur stress, c’est justement mon second but. Anne- France Bouchy-Tatopoulos, psychologue clinicienne, travaille là-dessus. « Même au moment des examens, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’humeur des parents donne le la en matière de stress. Plus ils sont inquiets du résultat, plus l’angoisse de leur enfant augmente. » Et nous voilà encore face au phénomène de contamination. Elle me conseille premièrement de mettre en mots les sensations. Cette démarche « dégonfle » le stress, permet le recul. Deuxièmement, d’instaurer une routine « contenante » pour toute la famille : repas à heures fixes, couchers pas trop tardifs… Et, d’une manière plus générale, de faire des choses ensemble pour retrouver un rythme (encore lui) commun : une balade en forêt, une heure de piscine… »
Enfin, s’il y a explosion de colère, l’éloignement est « la » solution : impossible de se disputer avec un absent et la « vapeur » retombe en l’absence de carburant. Travaux pratiques : complètement exaspérée par les embouteillages auxquels je suis confrontée chaque soir, en rentrant, je vais me balader avec ma fille en forêt, au lieu de me précipiter sur les tâches domestiques. Cela nous permet de prendre l’air et nous en profitons pour parler. Alice exprime ses attentes, auxquelles je peux tranquillement proposer une solution.
J’interroge un spécialiste du stress en entreprise. Éric Albert confirme que l’angoisse de l’un des membres de la famille peut s’étendre à tous. « Rien n’est plus contagieux, affirme-t-il. Une seule personne peut entraîner tout un groupe dans sa spirale. » Il faut donc identifier l’origine de l’angoisse : résultats scolaires ? enjeux professionnels? problèmes sentimentaux? Pour lui aussi, le dialogue, l’analyse, l’écoute de chacun ouvrent la prise de conscience, et permettent de décider des mesures à prendre pour améliorer la situation. Et, si le noeud de l’anxiété est trop serré, au moment de la crise, inspirer profondément, bloquer pendant quelques secondes puis expirer lentement aident à reprendre une respiration harmonieuse, rythmée. Je n’aurai jamais autant inspiré, expiré en choeur avec mes enfants… et toute seule dans la voiture ! J’aime bien. Sommes-nous plus détendus ? Pas toujours. Mais plus conscients du débordement de stress qui nous empoisonne, oui. Quant à moi, de la nécessité d’un travail plus profond.