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Publié par Maître ZEN

Voir la vie du bon côté ferait de nous des Bisounours à jamais perdus pour le monde réel. D’où vient ce mépris de l’optimisme ? Décryptage d’une résistance bien française.

 

 

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Les optimistes en font régulièrement l’amère expérience. Il suffit d’exprimer sa foi dans la bonté de l’homme ou dans sa capacité à évoluer positivement pour se faire aussitôt traiter de Candide ou se voir renvoyer avec force ricanements à la fameuse méthode Coué. Deux références aussi écrasantes que vexantes, et qui laissent peu de place au débat. Car au pays de Voltaire, la mauvaise foi n’est pas un vice, mais une habileté de l’esprit très appréciée.

 

Dans Candide ou l’Optimisme, le philosophe Leibniz, dépeint en la personne du docteur Pangloss, professeur de métaphysico-théologocosmolo- nigologie, a fait les frais de cet esprit brillant et sarcastique. Qui se souvient de ses essais sur la bonté de Dieu ? Personne. Reste le refrain ridicule « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Une fois éteints les ricanements, inutile de s’échiner à démontrer que Candide est plus stupide que naïf, ou que son optimisme n’est en réalité que l’expression d’un déni massif. Rien n’y fait. De même qu’il est tout aussi inutile de produire les études scientifiques validant la géniale intuition du pharmacien lorrain Coué sur les pouvoirs de l’autosuggestion positive.

 

Celui qui mise  sur l’espoir, qui parie sur la bonté de l’homme ou qui, plus ordinairement, est porté à voir le verre à moitié plein, est jugé psychologiquement immature, peu cultivé et pas très brillant. Le postulat, toujours valide, se vérifie dans la mode de la parodie, du second degré, voire du cynisme. Rien d’étonnant qu’enthousiasme et optimisme expédient tout droit leurs promoteurs au pays des Bisounours. Un pays duquel on ne revient jamais vraiment.

 

La culture du doute

Pour le philosophe Michel Lacroix, l’explication de la résistance collective à ce que nous appelons « la pensée positive » est multifactorielle. Dans l’ordre sociologique propre à la France, depuis le XIXe siècle, hommes d’action et hommes de réflexion évoluent en parallèle. Les intellectuels, qui ne prennent pas une part active à la vie de la cité, la regardent par le prisme de la méfiance. « N’oublions pas que la tradition philosophique cartésienne est fondée sur le doute de toutes les croyances. La réflexion se fait sur le mode de la dénonciation et de la critique négative. Une posture salutaire, mais démobilisatrice, car peu féconde en propositions constructives. » Le philosophe mentionne également l’influence culturelle de la tradition des moralistes, tels La Rochefoucauld et La Bruyère. « En disséquant le coeur humain, ils en ont exhumé toutes les sombres passions. Grattez les vertus et vous trouverez le vice, nous disent-ils en substance. »

 

Michel Lacroix voit enfin, dans la prégnance de « l’esprit révolutionnaire » qui invite à tout détruire pour mieux reconstruire, « la difficulté à reconnaître ce qui est bien ou va bien, afin d’y prendre appui et de chercher à améliorer l’ensemble ». Ainsi, admettre que tout ne va pas si mal serait, en politique, une posture de bourgeois réactionnaire, tandis que la critique négative massive, même dénuée de propositions, serait plus généreuse et révolutionnaire.

 

« Idéaliste ! Utopiste ! » Dès qu’il s’agit d’envisager une solution qui fait appel au meilleur de l’autre, ou d’envisager une issue favorable à un problème ou un conflit, l’optimiste est renvoyé à son manque de réalisme. Comme si le pessimisme et la défiance étaient du côté du réalisme. Cette croyance est pourtant dénuée de fondement, affirme Tali Sharot, professeure en neurosciences et en psychologie à l’University College de Londres, qui, dans son dernier livre, Tous programmés pour l’optimisme de Tali Sharot (Marabout, 2012)cite des études de référence sur notre propension à l’optimisme. « Elles montrent que de 7 à 77 ans, nous portons tous des “lunettes roses”, mais bon nombre d’entre nous n’en ont pas conscience, parce que le “biais d’optimisme” n’est pas totalement accessible à la perception consciente. » Sans ce dernier – qui se définit comme « l’inclination à surestimer la probabilité d’événements positifs dans le futur et à sous-estimer la probabilité d’événements négatifs » –, pas de mariage, pas de recherche d’emploi, pas d’enfants, pas d’emprunts… Si ce prisme positif est inhérent à l’homme, il peut s’aff aiblir précocement chez certains suite à des événements qui viennent ébranler les fondations de la confiance en soi et dans la vie – deuils, précarité matérielle, maladie… – ou par imprégnation culturelle familiale négative – parents anxieux, dévalorisants…

 

Autre découverte mentionnée par Tali Sharot : la supposée vertu préventive du pessimisme, à savoir envisager le pire pour éviter les déceptions, ne tient pas le choc face à la réalité. Non seulement cette posture est facteur de démotivation, mais elle n’évite en rien la souffrance. « Des études ont prouvé que des étudiants s’attendant à de mauvaises notes à leurs examens ont été aussi déçus et atteints que ceux qui s’attendant à réussir. » Ce qui démontre aussi la différence entre pensée positive magique – je me contente d’attendre la réussite – et optimisme actif – j’espère la réussite, donc je fais tout pour l’atteindre.

 

« On fait trop souvent, y compris les professionnels de la psy, l’amalgame entre pensée positive et psychologie positive », déplore le psychologue Philippe Gabilliet. La première prône la toute-puissance de la pensée sur le réel. Elle pourrait se définir comme un corpus de pensées semi-magiques du type : « Quand on veut, on peut. » Ce courant, né des mouvements spiritualistes et New Age américains, n’a rien à voir avec la seconde. Le psychologue rappelle la définition qu’en donne l’un de ses fondateurs, Martin Seligman : « La psychologie positive est l’étude scientifique du fonctionnement optimal de l’homme, qui vise à découvrir les facteurs permettant aux individus et aux communautés de s’épanouir. »

 

 

L’autoguérison qui dérange

Ilona Boniwell, psychothérapeute et fondatrice du Réseau européen de psychologie positive (ENPP), détaille son champ d’action. « Cette science opère sur trois niveaux : le niveau subjectif – identifier et favoriser les expériences permettant les états de bien-être et de joie; le niveau de l’individu – identifier et favoriser les éléments constitutifs d’une vie de qualité ou épanouie ; et le niveau du groupe – identifier et favoriser les facteurs sociaux d’un mieux-vivre ensemble : justice, altruisme, éthique, civisme… »

Pour Ilona Boniwell comme pour Philippe Gabilliet, la psychologie positive diffère de la psychologie « classique », et surtout de la psychanalyse, en ceci qu’elle se préoccupe davantage des aspects positifs de la vie humaine et de l’individu que de ses aspects négatifs. Philippe Gabilliet rappelle que« l’un des présupposés de la psychologie positive est que chacun dispose d’un arsenal d’outils d’autoguérison ; au thérapeute de favoriser la prise de conscience de leur existence chez son patient, et les moyens de les activer. Cela remet le thérapeute à une place plus modeste que le grand psy guérisseur, c’est aussi pour cela que la psychologie positive dérange et que l’on entretient la confusion sur son prétendu côté “pensée magique” ».

 

Jacques Lecomte, psychologue et chercheur, est président de l’Association française et francophone de psychologie positive (APP). Il connaît les arguments des détracteurs de ce courant et est souvent interpellé avec ironie sur la « bonté de la nature humaine ». « Les recherches contemporaines montrent qu’en réalité la promotion et la mise en pratique de valeurs telles que la confiance, la justice, la coopération, le courage et la solidarité contribuent à améliorer les relations interpersonnelles, mais aussi le bien commun. Cela a été constaté dans des domaines aussi divers que le travail social, la santé publique, la justice et l’éducation. » Naïveté d’humaniste coupé des dures réalités du monde ? « Pas du tout. On a par exemple mesuré de manière très concrète que les entreprises dans lesquelles les employés se sentent heureux de travailler sont souvent plus rentables que celles ou ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur. » 

 

Si la pensée positive, pensée magique par excellence, peut agir à la manière d’un antalgique, son efficacité reste toutefois soumise au volontarisme de celui qui la pratique. La psychologie positive, elle, repose sur des fondations présentes en chacun d’entre nous : l’expérience du bienêtre, la quête de sens et l’espoir d’un monde plus humain pour tous. C’est du moins le message que font passer ses promoteurs. Et si cela prête (encore) à rire, tant pis.

 


Flavia Mazelin-Salvi

 

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